Au-delà des discours et de l'affichage, les entreprises ne sont pas si nombreuses à s'impliquer réellement dans une politique d’articulation des temps de vie. Selon A. Pailhé et A. Solaz[1] qui ont réalisé l’enquête INED, "seulement un tiers des employeurs déclarent que dans leur établissement des mesures pourraient être mises en œuvre et ce sont ceux qui s'impliquent déjà le plus qui manifestent l'intention de le faire davantage."
Il existe ainsi de fortes inégalités entre les entreprises et de ce fait entre les salariés. Et les motivations pour mettre en place des mesures en faveur d'une articulation vie professionnelle- vie familiale sont souvent différentes selon le statut de l'établissement.
Ainsi, comme le démontrent A. Pailhé et A. Solaz dans leur enquête, le secteur privé non lucratif, le secteur nationalisé et la fonction hospitalière mettent plutôt en avant des motivations d'ordre social. Dans ces secteurs, la représentation syndicale y est plus forte et le taux de féminisation élevé. A contrario, les entreprises du secteur privé avancent des motivations liées à la lutte contre l'absentéisme ou le souci de l'image de l'entreprise (son attractivité).
Les mesures proposées par les entreprises sont rarement ciblées et ne font que rarement l'objet d'une véritable politique cohérente intégrée à celle des Ressources Humaines par exemple.
Ce sont donc des mesures disparates souvent liées au contexte même de l'entreprise, de la personnalité et des convictions du dirigeant, d'héritages historiques, des usages sectoriels plutôt qu'une politique formalisée.
Selon Paula McDonald, Kerry Brown et Lisa Bradley[2], le décalage entre le discours de la conciliation et l’offre effective dans les entreprises s’expliquerait en fonction de cinq dimensions de l’organisation :
- l’attitude du supérieur immédiat ;
- les normes organisationnelles concernant la promotion et les trajectoires professionnelles et les perceptions qui les entourent ;
- les normes organisationnelles concernant le temps de travail ;
- les relations et les attentes mutuelles au sein de l’équipe de travail ;
- la nature sexuée des politiques de conciliation.
Ainsi, au-delà des problématiques d'organisation du travail, de la charge de travail et des horaires, il semble qu'il faille promouvoir un changement culturel.
Mais les entreprises ne peuvent pas toutes seules apporter des solutions dans le domaine de l'articulation famille-travail qui semble dépasser largement le cadre de l'entreprise.
En effet, l'Etat a un rôle à jouer et notamment au travers des politiques familiales. Même si les dispositions actuelles comme le financement des modes de garde, l'école maternelle gratuite dès 3 ans, les avantages fiscaux aux familles, les allocations familiales permettent déjà une certaine satisfaction concernant l'articulation famille-travail. Le problème semble résider dans le peu d'alternatives proposées aux parents : modes de garde pas forcément adaptés à la multitude de situations horaires des parents, un congé parental de trois ans faiblement rémunéré qui entraîne les femmes à quitter le marché de l'emploi, les structures périscolaires qui sont en nombre insuffisant.
Suite à ce constat, il a été évoqué par le gouvernement en place une réflexion sur un congé parental plus court (par exemple d'un an) mais mieux rémunéré en fonction du revenu. Cela éviterait un écart trop long du marché du travail et inciterait également les pères à prendre ce congé.
Mais, comme le précisent A.Pailhé et A.Solaz, "les normes transmises et véhiculées, tant par les supérieurs que par les collègues, en termes de présence au travail, d'investissement, de dévouement à l’entreprise restent encore fortement sexuées."
Le témoignage de Frédéric Tiberghien[3], président d’honneur de l’ORSE, ancien chef d’entreprise illustre bien ce constat : « si je vois un père qui me dit à 17h ou à 18h « je dois partir pour chercher mon enfant à la crèche », j’ai une réaction non pas de père, mais de chef d’entreprise, en me disant : c’est incompatible avec le degré de responsabilité qu’il occupe ».
Agir sur les comportements demandera du temps et surtout une implication importante de l'ensemble des acteurs concernés : collectivités locales, villes, associations, organisations, entreprises.
"Pourrons-nous un jour, avant le quatrième millénaire, nous retrouver, hommes et femmes, pères et mères, ensemble, différents et si semblables, mais ensemble ? Dans le travail qui n'est pas toute la vie, et dans la vie qui est bien plus que le travail."[4]
Et vous, qu’en pensez-vous ? Votre entreprise a-t-elle mise en place des mesures en faveur de l’articulation vie professionnelle – vie familiale ?
[1] A PAILHE, A SOLAZ, (2009), "La famille à "flux tendu" : quotidien des parents et pratiques des employeurs" in A PAILHE, A SOLAZ (2009), "Entre famille et travail – Des arrangements de couples aux pratiques des employeurs", INED, La découverte (avril)
[2] McDonald P., Brown K. et Bradley L., 2005, "Explanations for the provision-utilisation gap in work-life policy", Women in Management Review, vol. 20, n° 1.
[3] Témoignages de décideurs et contributions de chercheurs dans le cadre du dossier de presse réalisé par l’ORSE « Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes », 28 novembre 2008
[4] Patrick Ben Soussan, Article "Un po, ma non troppo ! Le père, le bébé, le travail, issu du livre La mère, le bébé, le travail, Editions Eres, (2002)
Source de l'image : galerie Clipart de Powerpoint (Microsoft)
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Cette note est aussi disponible sur le blog En Aparte de Gaëlle Picut dans le cadre du guest blogging d’été.