J’ai rencontré Catherine Pouliquen via un réseau social professionnel très connu. Nous avons échangé notamment sur le sujet de la parentalité et l’entreprise.
Catherine, pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours professionnel ?
J’ai exercé, de 1986 à 2001, différentes fonctions d’encadrement dans le secteur social et médico-social (responsable juridique en charge des questions sociales, directrice des ressources humaines, directrice de structure). En 2003, je suis devenue avocate en droit social.
Dans quel cadre s’inscrivent vos travaux sur la parentalité et l’entreprise ?
Cette année, j’ai préparé le Diplôme d’Université « Prévention et responsabilité face aux risques psychosociaux » de Paris II Assas. C’est à cette occasion que j’ai choisi de travailler sur le thème « Parentalité et entreprise ».
Pourquoi avez-vous choisi ce sujet ? Etes-vous concernée personnellement ?
En tant que mère de famille, j’ai dû, comme tous les parents actifs, trouver les moyens de concilier ma vie professionnelle et ma vie familiale. Je me suis efforcée de ne sacrifier ni l’une ni l’autre. Mon meilleur guide a été le mot : « adaptation ».
Ce n’est donc sans doute pas tout à fait un hasard si j’ai eu envie de m’intéresser à ce qui se joue à la frontière incertaine de la vie familiale et de la vie professionnelle.
Quelle a été votre démarche d’analyse ?
Travaillant sur la parentalité, il me fallait d’abord définir ce terme. Cette notion, apparue à la fin du XXème siècle, reste assez floue et diversement utilisée par les différentes disciplines. Dans le domaine éducatif, par exemple, elle désigne plutôt les pratiques éducatives, avec un souci de prévention de la maltraitance. Certains auteurs y voient les tâches concrètes que le parent exerce auprès de l’enfant, en particulier, le temps passé avec lui. Daniel Marcelli, professeur des universités et chef de service de psychiatrie infanto-juvénile au CHU de Paris, parle de « travail psychique et relationnel »…
A une époque où les modes de vie et les valeurs sont si divers, une question hante de nombreux parents : qu’est-ce qu’être un bon parent ? Dans le même temps, la vie professionnelle est exigeante et implique de s’investir pour faire carrière ou, plus modestement, gagner sa vie et conserver un emploi.
Concilier c’est rendre deux choses compatibles. Il y l’idée d’un antagonisme entre forces contraires et je crois que c’est bien le cas en effet. Le travail a ses exigences, les enfants les leurs. Le parent actif est tiraillé entre ces deux forces.
Cet antagonisme peut être à l’origine d’un mal-être, voire d’une véritable souffrance. La « difficulté de conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle » fait partie des facteurs identifiés comme susceptibles de révéler un problème de stress au travail. L’employeur ne peut donc l’ignorer.
Le Rapport Gollac sur les risques psychosociaux au travail (avril 2011), désigne, par exemple, certaines formes d’organisation du temps de travail comme étant particulièrement problématiques au regard de la vie familiale. Il relève également que les exigences émotionnelles liées à certains métiers ou environnements professionnels altèrent la capacité d’avoir des relations normales en famille.
La prise en compte des difficultés de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale doit donc être intégrée à la démarche de prévention des risques psychosociaux dans l’entreprise. Il convient, à cet égard, de souligner que, dès qu’un problème de stress au travail est repéré dans l’entreprise, l’employeur doit le prévenir, l’éliminer ou à défaut le réduire. La responsabilité de déterminer les mesures appropriées lui incombe.
Mon objectif était donc de repérer les mesures susceptibles d’être mises en œuvre dans l’entreprise pour faciliter la conciliation entre la parentalité (qui est l’un des aspects de la vie familiale et personnelle) et vie professionnelle.
Quels types d’entreprises avez-vous pu étudier ?
Compte tenu du temps relativement court dont je disposais pour la réalisation de ce travail, je me suis penchée sur les enquêtes existantes et notamment sur la très riche
enquête « Familles et employeurs » réalisée par l’INED en 2005, auprès d’environ 10 000 hommes et femmes et 2 700 entreprises.
Mon champ d’étude concerne les entreprises relevant du Code du Travail, c’est-à-dire, schématiquement, les entreprises du secteur privé, entendues au sens large, ce qui inclut les associations, le secteur mutualiste, etc. Mon étude ne concerne pas le secteur public.
Que vouliez-vous démontrer lors de cette étude ?
Je n’ai cherché à imposer, sur ce sujet complexe, ni certitude, ni démarche militante.
Je me suis attachée à repérer les dispositions du Code du travail, protectrices de la parentalité. Elles sont nombreuses. Les plus connues sont celles qui concernent l’arrivée d’un enfant au foyer (protection de la grossesse, congé de maternité, congé de paternité, etc.) et la prise en charge de l’enfant en bas âge (congé parental d’éducation, etc.). La jurisprudence tend également à prendre en compte la situation familiale du salarié ; on le constate, par exemple, en matière de clauses de mobilité.
Le principe de non-discrimination et les dispositions relatives à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes irriguent l’ensemble de ces questions.
Je me suis ensuite interrogée sur le point de savoir si l’entreprise peut (ou même «doit ») aller plus loin.
Avez-vous pu dégager des pistes de solutions pour améliorer la prise en compte de la parentalité au sein de l’entreprise ?
Force est de constater que, d’un point de vue juridique, la prise en compte par l’employeur de la vie personnelle du salarié ne va pas de soi. Le salarié bénéficie, en effet, d’un droit fondamental au respect de sa vie privée. Il y a donc une frontière que l’employeur ne doit pas franchir.
Cependant, des pistes très intéressantes ont été dégagées notamment par la Halde, par l’Observatoire de la Parentalité en Entreprise, ainsi que par un rapport de la Commission Entrepreneurs, Entreprises et Société du MEDEF de juillet 2009.
Il y a des mesures très simples telles que penser à informer les salariés et les managers sur les dispositifs existants. Il faut aussi faire en sorte que le principe de non-discrimination soit intégré par tous, faire évoluer les représentations.
Il peut être nécessaire de travailler également sur l’organisation du travail. Sans interférer dans la vie privée des salariés, l’employeur peut ainsi, par exemple, veiller à mettre en place une organisation du temps de travail favorable à la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Ces mesures ne génèrent pas nécessairement de surcoût.
La négociation des accords relatifs à l’égalité professionnelle est aussi l’occasion d’introduire la question de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle dans le dialogue social.
Souhaitez-vous ajouter autre chose ?
Il ressort de l’enquête « Familles et employeurs » que plus de trois quarts des employeurs (76 %) pensent devoir aider les salariés à coordonner leur travail avec leur vie familiale.
Les trois premières raisons motivant les employeurs sont, dans l’ordre : la diminution de l’absentéisme, le bien-être des salariés et l’amélioration de la productivité et des performances. Viennent ensuite les objectifs de fidélisation des salariés et d’amélioration de l’image de l’entreprise.
Cela n’est pas une question de taille d’entreprise. Il existe des PME et même de très petites entreprises, très attentives à ces questions.
Je pense qu’il faut rechercher des solutions concertées, débattues au plus près du terrain, tenant compte des spécificités de l’entreprise et de son environnement.
Merci beaucoup Catherine pour cette interview.
N’hésitez pas à laisser des commentaires et à poser vos questions à Catherine Pouliquen !