J’ai rencontré Alexandre Jost lors d’un colloque ayant pour thème « L’entreprise idéale existe-t-elle ? » Tout un programme !
Alexandre Jost est fondateur de La Fabrique Spinoza, think-tank du bien-être citoyen. Je vous propose de découvrir son parcours et ses actions autour du bien-être citoyen.
Alexandre, pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours professionnel ?
Diplômé de l’Ecole Centrale Paris, puis de U.C. Berkeley en Génie industriel, je m’installe à San Francisco et commence à travailler chez Mars & Co, cabinet de conseil en stratégie, tour à tour au Brésil, au Mexique, en Angleterre puis reviens en France. Appelé par une recherche de sens, je pars travailler au Groupe SOS, un regroupement associatif de 7000 salariés œuvrant dans le social, médico-social, et sanitaire. En 5 ans, je me suis occupé du développement, et ai codirigé les fonctions support et la stratégie, puis le pôle gérontologie. Fin 2010, heureux et entrepreneur, je crée la Fabrique Spinoza, think-tank politique, visant à réintroduire le bien-être citoyen au cœur du débat démocratique.
Quelle est l’origine de la création de La Fabrique Spinoza ?
Nous avons créé la Fabrique Spinoza, think-tank du bien-être citoyen, sur la réalisation de deux choses. Tout d’abord, que les Français réclamaient une vision : en effet, d’après Jean-Paul Delevoye, ex-médiateur de la République, 76% des Français disaient en 2010 avoir besoin d’un but commun, ce que les politiques actuelles peinent à leur donner. Ensuite, la politique a perdu de vue ce qui nous semble, à la Fabrique Spinoza, une finalité : le bien- être citoyen et se focalisent sur des buts intermédiaires comme le pouvoir d’achat, la croissance économique, la solidarité, la justice. Tous ces éléments sont des pas sur le chemin mais pour nous, il y une vertu à réaffirmer qu’elles visent in fine le bien-être collectif. En rendant ce but explicite, on transforme le processus d’élaboration des politiques publiques.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé au sujet du bien-être citoyen ?
Il y a un lien évident avec le bonheur. Celui-ci a beaucoup de définitions. Par exemple, nous sommes certains (mais pas tous), à la Fabrique Spinoza, à penser que le bonheur est l’aspiration suprême – consciente ou inconsciente – de l’être humain. Une autre définition pragmatique est que le bonheur est ce qui est capturé dans la question à laquelle les gens savent presque tous répondre : «Vous sentez-vous heureux ?». Il y a deux choses à retenir principalement : premièrement, c’est une notion subjective donc il n’y a pas de chemin défini a priori vers celui-ci. Seules des enquêtes déclaratives, des délibérations citoyennes ou des recherches - mais pas des préjugés idéologiques - peuvent apporter des réponses. Deuxièmement, c’est quelque chose de fondamental. D’après des enquêtes réalisées auprès de citoyens britanniques et relayées par la New Economics Foundation, le bonheur est au moins aussi important que l’amour, la santé et loin devant la richesse. Enfin, une précision : on peut parler de bonheur pour l’individu, mais pour la collectivité, nous parlons de bien-être citoyen car le bonheur nécessite une subjectivité. Une dernière chose : pour nous, le bien-être citoyen est tout autant un cap vers lequel tendre – au sens où nous cherchons à en favoriser les conditions – qu’un outil méthodologique ; considérer le bien-être citoyen est structurant et éclaire le processus de production de politiques publiques.
Pour nous, et pour toutes ces raisons, le bien-être citoyen est donc un principe fondamental d’action politique et de transformation de la société.
D’après votre expérience, comment se positionne la France sur le sujet du bien-être ?
Les travaux initiés en 2008 lors de la Commission Stiglitz, pour la mesure de la performance économique et du progrès social sont restés sans développement politique ou idéologique, suite à une difficulté de nos dirigeants politiques à s’approprier le changement de paradigme suggéré : la mesure du bien-être. Les travaux et les débats doivent être relancés et occuper une part importante de la nouvelle mandature. Aujourd’hui sur une base auto-déclarée, les Français sont moyennement heureux et se placent en 28e position après l’Arabie Saoudite. Le sujet mérite qu’on lui redonne de la visibilité et du poids politique. Il est vecteur de transformation.
Vous intervenez régulièrement dans des conférences ou colloques. Quels sont vos messages clés et vos idées d’actions innovantes pour améliorer le bien-être citoyen ?
Nous travaillons sur de nombreux thèmes, de la philanthropie, au service public, en passant par l’éducation et les médias ou la relation au temps. Toutefois, deux sujets majeurs de travail sortent du lot :
- le bien-être au travail : des études suggèrent la puissance du lien entre celui-ci et la performance de l’organisation. Nous rassemblons ces éléments et les portons à la connaissance des décideurs économiques pour éclairer leurs décisions et politiques d’entreprise. Nous formulons également des propositions pratiques pour améliorer le bien-être et donc l’efficacité des collaborateurs.
- les indicateurs du bien-être citoyen : pour changer de cap, il faut changer de boussole. Le PIB demande à être complété pour prendre en compte les éléments qui importent aux individus et mesurer conjointement notre développement économique et notre progrès social. Nous conduisons des projets de recherche pour mieux comprendre comment établir et faire peser ces nouveaux indicateurs. Enfin, nous sensibilisons des parlementaires et l’exécutif à ces enjeux pour les encourager à poursuivre les travaux.
Parlez-nous de votre dernière enquête en partenariat avec Mediaprism sur la thématique du « Bien-être au travail et égalité femmes-hommes ». Quelles sont les principaux enseignements ?
Cette enquête est riche (lire le sondage). L’enseignement principal est que la satisfaction et le bien-être déclarés au travail sont supérieurs pour les femmes (5,3 sur 10) que pour les hommes. Toutefois on ne peut s’arrêter à ce constat et la recherche montre que ces positions sont en phase de s’inverser. Stevenson et Wolfers en 2009 montrent qu’aux Etats-Unis, les positions se sont déjà échangées. Ce constat est un signal d’alarme quant à la nécessité d’agir. En effet, Easterlin et Plagnol en 2008 expliquent que les aspirations des femmes ont évolué plus vite que leurs atteintes. L’existence rémanente de barrières ou de plafonds de verre empêche parfois des réalisations de femmes comparables à celles des hommes alors que les attentes sont maintenant au même niveau ; d’où frustration et baisse de la satisfaction. La conclusion à tirer est que la promotion de l’égalité et de l’équité professionnelles entre les hommes et les femmes est à poursuivre absolument.
Le deuxième apprentissage du sondage est que les facteurs de satisfaction professionnelle sont différents pour les hommes et les femmes. Les différences les plus marquées sont que les hommes accordent par comparaison plus d’importance à leur rémunération, carrière et les femmes à l’intérêt intellectuel, l’acquisition de compétences. En sociologie, pour Frey et Stutzer, on dit que les valeurs mises en avant par les hommes sont des valeurs extrinsèques (déterminées par l’extérieur) et celles des femmes intrinsèques (autodéterminées). Les études indiquent également que les valeurs déterminées par soi sont plus susceptibles de favoriser sa satisfaction de vie sur la durée. L’apprentissage majeur à tirer de ceci est que les hommes ont probablement à apprendre de comportements aujourd’hui féminins pour leur propre bien-être en entreprise. Egalement, l’égalité salariale est un chantier important car sans volontarisme des organisations, les biais de motivation laisseront perdurer des inégalités de traitement salarial (27 % de différences aujourd’hui).
Souhaitez-vous ajouter autre chose ?
Oui, tout d’abord, sur la base des constats précédents, on peut formuler des propositions de politiques publiques :
1/ que l’éligibilité aux appels d’offre publics soit conditionnée à la bonne application de la loi sur l’égalité professionnelle
2/ que les inspecteurs du travail soient formés aux enjeux de l’égalité et l’équité hommes-femmes (afin justement de mieux contrôler l’application de lois en faveur de l’égalité ou équité femmes-hommes).
D’ici 10 jours, la Fabrique Spinoza dévoilera son rapport sur le sujet avec 40 « Propositions pour une société plus heureuse via un rééquilibrage des relations femmes-hommes ».
Pour terminer, une conviction forte de la Fabrique Spinoza – corroborée par la recherche – est qu’il y a un alignement vertueux entre égalité/équité/équilibre femmes-hommes d’une part, bien-être des individus / collaborateurs d’autre part et enfin performance économique.
Merci beaucoup Alexandre pour cette interview.
Visitez son site internet http://www.fabriquespinoza.org/ ou aimez-le sur http://www.facebook.com/fabriquespinoza et n’hésitez pas à laisser des commentaires et à poser des questions à [email protected] !