Pour ceux et celles qui s’intéressent à la thématique de l’égalité professionnelle femmes-hommes, vous connaissez certainement Antoine de Gabrielli, fondateur de Companieros (j’en avais parlé en avril 2011 ici) et de l’association Mercredi-c-papa. Antoine de Gabrielli est très actif sur la question de la Responsabilité Sociale d’Entreprise et plus spécifiquement sur le sujet de l’égalité professionnelle femmes-hommes : vous pouvez aussi le retrouver sur Twitter : @mercredi_c_papa.
Antoine, pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours professionnel ?
Après plusieurs années dans le marketing, j’ai créé mon entreprise en 1987 : c’est toujours la même mais l’activité de Companieros a sensiblement évolué en 25 ans. Dans un premier temps, c’est accompagnement du changement dans les organisations qui m’a principalement intéressé. Ensuite, à partir de 2000 et de l’émergence des thématiques liées à la RSE, nous nous sommes progressivement spécialisés sur les questions de diversité et de qualité de vie au travail. Aujourd’hui, Companieros est principalement connue pour ses programmes de formation Handimanagement, sur le handicap, EgalitéPro HF Management, sur l’égalité professionnelle, Pluriel Management, sur la diversité au sens large, ou encore Vital Management sur le bien-être au travail. Notre spécificité est de former non seulement des étudiants de grandes écoles et universités, mais aussi des cadres et managers, et de plus en plus souvent de les former ensemble !
Vous êtes le fondateur de l’association Mercredi-c-papa. Quelles sont les missions de cette association ? Qui peut devenir membre ?
Mercredi-c-papa est une association engagée sur la question de l’égalité professionnelle. Elle est exclusivement composée d’hommes, car nous sommes convaincus que, pour impliquer les hommes dans l’égalité professionnelle, il faut parler aux hommes, avec une parole d’hommes à hommes. Par ailleurs, nous sommes conscients que, aujourd’hui, la poursuite des progrès en matière d’égalité professionnelle passe indiscutablement par les hommes. Le tout est de savoir comment les y intéresser et ce n’est pas simple : soit les hommes pensent que cette question ne les regarde pas, qu’elle concerne exclusivement les femmes, soit ils la voient comme un risque, pour eux, de perte de pouvoir. La seule solution est de montrer aux hommes l’intérêt qu’ils ont à trouver à l’égalité professionnelle. Curieusement, nous avons le sentiment d’être les seuls à avoir défriché cette voie.
Dans ce cadre, vous venez de lancer un programme spécifique qui s’adresse uniquement aux hommes « Happy Men ». En quoi consiste-t-il ? Qui peut participer ?
Happy Men est la réponse opérationnelle de Mercredi-c-papa au défi de l’implication des hommes dans les politiques d’égalité professionnelle. Notre conviction est que, si les femmes sont discriminées dans les organisations, les hommes n’en sont pas pour autant aussi gagnants qu’on le pense souvent. Eux-aussi sont soumis à des stéréotypes. Quand un homme le souhaite, il lui est très difficile dans son environnement professionnel d’adopter une organisation de travail (horaires, disponibilité) compatible avec une vie personnelle ou familiale digne de ce nom. Nous pensons donc que le système qui discrimine les femmes est aussi, même si très différemment, un système qui pénalise les hommes. En cela c’est un système perdant-perdant.
Happy Men répond à cela, en proposant aux hommes de voir, derrière la question de l’égalité professionnelle, celle de l’épanouissement personnel et professionnel. Et donc du bonheur. Le nom complet du projet est « Happy Men share more » : cela signifie que nous proposons aux hommes plus d’épanouissement par plus de partage. Plus de partage entre hommes sur les stéréotypes qui les enferment dans une vision asséchante de la réussite sociale et du pouvoir ; plus de partage avec les femmes sur la mise en place d’une organisation du travail qui permette à tous, hommes comme femmes, de réussir professionnellement ET personnellement ; plus de partage dans les couples des responsabilités familiales encore très majoritairement assumées par les femmes.
Pourquoi impliquer les hommes uniquement dans cette démarche ?
C’est plutôt que nous nous adressons principalement aux hommes, ce qui est assez différent. En revanche les femmes doivent évidemment participer au mouvement : la redéfinition des modalités de travail, avec notamment la notion essentielle de management individualisé, comme la négociation dans les couples d’une nouvelle répartition des responsabilités familiales ne peut évidemment se faire sans les femmes. Il y a pourtant, à côté de ces deux domaines d’action, nécessité d’une parole entre hommes, notamment sur les stéréotypes masculins, le pouvoir ou les conditions d’un épanouissement personnel et professionnel. Comme les réseaux de femmes ont eu besoin d’une parole entre femmes, nous sommes convaincus, et j’ai personnellement une expérience de plus de 10 ans en la matière, qu’une parole « entre hommes et d’hommes à hommes » est indispensable sur ces sujets. Il y a un moment où la parole est plus libre quand on est entre soi, même si être entre soi n’est pas un but…en soi.
Comment faites-vous vivre ce projet innovant ?
Le projet vient d’être lancé : jusqu’ici, l’essentiel du temps de travail a été investi sur la réflexion et les échanges avec de nombreux acteurs de l’égalité professionnelle. J’ai la chance, par mon métier, de pouvoir côtoyer de nombreux experts, de tous horizons. Participant à la Commission Egalité Professionnelle du Medef, au Women’s Forum ou à l’AFMD, j’ai pu, à chaque étape du projet, évaluer la pertinence du concept et de ses modalités opérationnelles. Orange et la CFE-CGC ont été des partenaires dès la première heure, apportant chacun un engagement très fort sur le sujet. Le Laboratoire de l’Egalité nous a assuré de son soutien, comme cela a été le cas pour le Medef. L’agence BETC, dirigée par Mercedes Erra dont tout le monde connaît l’engagement pour l’égalité professionnelle, a accepté de concevoir la communication : c’est d’ailleurs à eux que nous devons le nom définitif du projet. Depuis septembre, je présente Happy Men aux responsables de l’égalité professionnelle des principaux grands groupes.
Pouvez-vous nous donner des exemples d’engagements masculins en faveur de l’égalité professionnelle à titre professionnel et à titre individuel ?
Avant de donner des exemples, une précision : Il y a trois choses très importantes pour nous. La première, c’est que chacun comprenne que si l’égalité professionnelle a besoin de lois, de règles et de mesures, rien ne peut réussir sans que chacun, à son niveau, devienne un acteur de changement. La seconde c’est que chacun a, à son niveau, un espace où devenir acteur de changement : l’essentiel est de faire un pas en avant, même petit, puis un autre, modestement, pragmatiquement, avec humilité. C’est comme cela que de grandes victoires seront obtenues : « un petit pas pour des hommes, un grand pas pour l’égalité » comme nous le disons dans le descriptif du projet. La troisième est que les stéréotypes sont tellement ancrés, tellement profonds, tellement constitutifs de l’identité de chacun qu’on ne peut véritablement s’en débarrasser qu’en faisant l’expérience d’autres possibles, d’autres comportements, d’autres efficacités. C’est la raison pour laquelle Happy Men propose aux hommes de prendre des engagements personnels : c’est pour leur permettre de faire l’expérience d’une autre manière d’être, dans la vie professionnelle, dans la vie de couple et dans sa vie à soi.
Un exemple d’engagement ? Négocier l’amplitude horaire des réunions professionnelles. Tout le monde sait qu’il y a là un des éléments clef du plafond de verre : c’est dans les réunions tardives que les hommes excluent petit à petit les femmes des décisions essentielles. Nous proposons aux hommes de mettre la question sur la table au niveau de leur équipe de travail. D’en parler. De voir si on peut améliorer les choses. Peut-être qu’au départ, on ne pourra pas limiter toutes les réunions à 18h maximum. Mais peut-être on parviendra à le faire 3 jours par semaine. Ou bien on se réservera la possibilité de dépassements exceptionnels. Ou bien encore on diminuera d’1/2 heure l’horaire habituel de fin des réunions et ce sera déjà ça de gagné. L’important c’est que hommes et femmes fassent l’expérience de la solidarité de leurs intérêts dans les progrès obtenus. Des réunions moins tardives, c’est bon pour les femmes et c’est bon pour les hommes. Autre possibilité : dans un couple, échanger une responsabilité familiale tous les 6 mois. Par exemple, être à tour de rôle responsable des enfants en cas de problème de santé, blessure ou malaise à l’école, nécessité de rester à la maison avec un bébé qui a la fièvre… Chacun peut expérimenter les contraintes de l’autre, mais aussi le plaisir de la proximité avec un enfant. Chacun peut mesurer ce que cela veut dire personnellement et professionnellement. Prise à tour de rôle, cette responsabilité est un facteur d’égalité dans les couples. Et cela contribuera peut-être, au moins un peu, à leur stabilité.
Comment évaluez-vous les engagements pris ?
Au départ, nous avions prévu que tous les engagements seraient vérifiés, même si de manière connivente. En fait ce sera plus souple que cela : nous ne sommes pas là pour culpabiliser mais pour montrer que l’efficacité est dans la durée. Nous avons prévu que chaque engagement pris par un homme sera amicalement évalué, au bout d’un an, par un ou une témoin. Une, deux ou trois étoiles selon la qualité de la tenue de l’engagement dans le temps. C’est moins l’occasion de pointer un manque que de créer le dialogue sur comment faire mieux, pourquoi cela a été difficile à tenir, comment réussir la fois suivante. Je l’ai dit, nous sommes modestes dans notre approche, nous nous méfions des grandes envolées lyriques ou idéologiques. Nous préférons aider chacun à atteindre le maximum de ce qu’il est capable de faire.
Votre programme Happy Men est également déployé dans les entreprises. Quelle est la démarche ? Et comment êtes-vous accueilli par la Direction et par la DRH sur ces sujets ?
Happy Men, avant d’être proposé à un large public, sera d’abord exclusivement développé dans des entreprises. Nous formerons des référents Happy Men, souvent par trios, qui seront ensuite chargés de « porter la bonne parole » en interne. En l’occurrence de proposer et organiser des groupes d’échanges entre hommes sur la question de l’épanouissement personnel et professionnel, puis de générer les engagements individuels.
Nous bénéficions objectivement d’une excellente écoute de la part des directions diversité et DRH : toutes les entreprises qui ont avancé sur la question de l’égalité professionnelles ces dernières années savent qu’on ne pourra pas aller beaucoup plus loin sans impliquer les hommes. Laurent Depond, l’emblématique Directeur de la Diversité du Groupe France – Telecom Orange, l’exprime en disant que « au royaume des aveugles, les borgnes sont rois ». Il veut dire par là que les entreprises en pointe sur la question de l’égalité professionnelle, ce qui est le cas d’Orange, se rendent parfaitement compte, après 5 ans de progrès rapides, qu’elles butent aujourd’hui sur la question des hommes. Les progrès deviennent beaucoup plus difficiles à obtenir. Avec 80 à 90% d’hommes aux principaux postes de pouvoir, de pesants stéréotypes masculins sur les femmes dans le travail, un management encore aujourd’hui pensé pour des hommes investis en totalité dans leur vie professionnelle - leur conjoint assurant l’intendance, les hommes sont devenus le principal levier de succès, ou d’échec, des progrès en matière d’égalité professionnelle. Happy Men share more est, je crois, la première réponse opérationnelle à cette problématique.
Merci beaucoup Antoine pour cette interview.
Pas de quoi c’est un plaisir ;)))
Visitez les sites internet de Companieros : http://www.companieros.com/ et également de Mercredi-c-papa : http://mercredi-c-papa.tumblr.com/ et n’hésitez pas à laisser des commentaires et à poser des questions à Antoine De Gabrielli !