J’ai rencontré Anne Tournier via mon blog professionnel « Vers une articulation des temps de vie ». Nous avons échangé notamment lors de la préparation de son mémoire sur le sujet de l’égalité professionnelle hommes – femmes et plus largement sur la qualité de vie au travail.
Anne, pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours professionnel ?
J’interviens depuis plus de 10 ans dans les domaines du développement des ressources humaines et des compétences, de la formation continue et du recrutement, tant en France qu’à l’étranger, dans des entreprises de tailles variées. Je travaille actuellement dans un groupe international fournissant aux entreprises des solutions en ressources humaines.
Dans quel cadre s’inscrivent vos travaux sur la qualité de vie au travail ?
Mes travaux s’inscrivent dans le cadre d’un mémoire de master en ressources humaines. La rédaction de ce mémoire a été pour moi une opportunité de réfléchir sur la question de la prise en compte de la parentalité par les entreprises et l’impact que cela pouvait avoir sur l’atteinte de l’égalité professionnelle et sur une meilleure qualité de vie au travail.
Pourquoi avez-vous choisi ce sujet ? Êtes-vous concernée personnellement ?
Ce choix s’est fondé sur deux points au départ. D’une part, mon expérience professionnelle m’a permis d’acquérir la conviction que la performance de l’entreprise passe, entre autres, par la prise en compte de ses salariés et de leurs motivations. D’autre part, je suis devenue parent dernièrement. Je me suis retrouvée dans la situation de la personne qui a, d’un côté, un lien de subordination avec son employeur et d’un autre côté, est responsable d’une personne dépendante, son enfant. Cette situation peut provoquer des tensions parfois difficiles à gérer.
Quelle a été votre démarche d’analyse ?
Mon interrogation de départ a été la prise en compte de la parentalité, c’est-à-dire le statut de parent, des salariés des entreprises. En quoi, les entreprises avaient-elles intérêt ou non à prendre en compte ce statut dans leur politique de gestion des ressources humaines ?
Très rapidement, le lien entre parentalité et égalité professionnelle entre les hommes et les femmes est apparu, de même que le lien entre parentalité et qualité de vie au travail. Comme je vous le disais précédemment, le statut conjoint de parent et de collaborateur génère des situations qui ne sont pas toujours faciles à gérer. Un exemple tout simple est le fait d'être à l'heure à la sortie de l'école alors qu'une réunion importante a été programmée en fin de journée.
J’ai souhaité comprendre comment ces sujets s’articulaient par une recherche bibliographique et mener ensuite des enquêtes dans les entreprises afin de voir comment ces sujets étaient vécus aujourd’hui.
Quels types d’entreprises avez-vous pu interroger ?
Dans le cadre de mon mémoire, j’ai interrogé des entreprises en prenant en compte plusieurs critères. Les deux principaux étaient les suivants :
- démographie hommes/femmes : la démographie peut avoir un impact sur la culture de l’entreprise ou l’approche de la question de la parentalité ;
- entreprise signataire ou non de la Charte de la Parentalité et/ou détentrice ou non du Label Egalité afin de vérifier si ces engagements étaient réellement suivis d’effets.
Dans mes entretiens, j’ai ciblé les professionnels des ressources humaines afin de comprendre comment ces thèmes pouvaient être appréhendés et « mis en musique » par les équipes RH. J’ai aussi interrogé des salariés afin de comprendre comment les actions mises en œuvre par les « ressources humaines » étaient vécues dans la « vraie vie ». J’ai pu ainsi avoir d’une part la vision des RH, d’autre part la vision de salariés vivant chaque jour la réalité de parents en charge d’enfants et enfin la vision de managers, eux-mêmes souvent parents, mais surtout ayant à gérer des salariés-parents et des objectifs d’entreprise, les deux n’étant pas de prime abord forcément compatibles.
Je précise cependant, et cela a un impact sur mes constats : j’ai interrogé des salariés qui avaient plutôt de l’autonomie dans leur travail, qui fournissaient plutôt des prestations intellectuelles et qui vivaient dans des zones urbaines importantes. Ce dernier critère entraîne des temps de transport domicile-entreprise importants.
Que vouliez-vous démontrer lors de cette étude ?
Je voulais mesurer combien la prise en compte de la parentalité pouvait aider des entreprises à atteindre des objectifs plus larges d’égalité professionnelle et de qualité de vie au travail. Il est apparu que si la prise en compte de la parentalité n’était pas une fin en soi, elle restait quand même un incontournable, une clé d’entrée pour permettre aux entreprises d’atteindre des objectifs plus larges voire plus stratégiques au même titre que la prise en compte d’autres situations personnelles des salariés, comme le handicap, par exemple.
Avez-vous pu dégager des pistes de solutions pour améliorer la qualité de vie au travail dans les entreprises ?
Bien entendu, les solutions pour améliorer la qualité de vie au travail dépend de chaque entreprise, de sa culture, de son organisation... En revanche, et cela peut être des pistes, j'ai pu constater dans tous les entretiens que j'ai menés les points suivants :
− Il n'y avait pas une grande adéquation entre les besoins exprimés par les salariés et les solutions proposées par les entreprises. Par exemple, la crèche d'entreprise est une solution « emblématique » mais elle bénéficie à peu de salariés et crée, du coup, des insatisfactions. Les salariés préféreraient un petit coup de pouce financier à la prise en charge d'un moyen de garde. La garde des enfants (et les horaires) est une vraie préoccupation que ce soit pour les enfants de moins de 3 ans que pour les enfants plus grands après l’école.
− Les salariés avaient une connaissance partielle des mesures mises en place par les entreprises pour les aider à mieux s'organiser et à être ainsi plus sereins sur leur lieu de travail. Une communication plus ciblée pourrait être envisagée.
− Les salariés, s'ils connaissaient les mesures proposées par l'entreprise, voyaient une différence entre ce qui était annoncé par les entreprises et avec les applications sur le terrain par les managers. Je pense par exemple aux règles sur les horaires des réunions et les possibilités de télétravail, pour lesquels j'ai entendu très souvent que c'était des règles « sur le papier ».
− Enfin, le télétravail, cité et souhaité par tous les salariés : ils le voient comme une solution leur permettant de gagner le temps perdu dans les transports, d’être productifs et sont confiants dans les outils informatiques existants aujourd’hui. En fait, la majorité des salariés interrogés l’utilisent de manière informelle en se mettant d’accord directement avec leur manager. Ils souhaiteraient que cette pratique soit mieux structurée et mieux acceptée.
Les entreprises que j’ai interrogées considéraient comme importante la qualité de vie au travail, puisqu’un salarié qui se sent bien et qui n’est pas “pollué” par des contraintes personnelles est plus motivé, plus impliqué, ce qui participe directement et indirectement à la performance de l’entreprise. Par conséquent, toute mesure qui aide un salarié à gérer ses contraintes personnelles est aussi bénéfique pour l’entreprise.
En revanche, mes interlocuteurs ont tous souligné les facteurs suivants comme incontournables :
- l’implication de la direction générale, du dirigeant, qui porte le sujet de la qualité de vie au travail au sein de l’entreprise. Ceci a un impact indiscutable sur l’évolution de la mentalité du management, en particulier des managers de proximité qui vivent au jour le jour cette question avec leurs collaborateurs,
- la capacité de l’entreprise à intégrer dans son organisation et ses modèles managériaux, la qualité de vie au travail. L’entreprise doit décider “où elle place le curseur”, c’est-à-dire jusqu’à quel niveau elle souhaite intègrer la flexibilité demandée, par les salariés.
Souhaitez-vous ajouter autre chose ?
J’ai été surprise dans mes entretiens de constater combien la gestion d’une double carrière dans un couple était fréquemment citée, surtout par les hommes d’ailleurs. Plusieurs m’ont dit qu’ils attendaient de pouvoir construire avec leur employeur des solutions créatives pour leur permettre de s’investir sereinement autant dans leur vie professionnelle et que dans leur vie familiale.
Enfin, et je pense qu’il est important de le souligner, plusieurs fois, les salariés interrogés m’ont redit leur confiance dans le “changement des mentalités”, dans l’engagement et la capacité de leur direction générale et de leur entreprise à prendre de plus en plus en compte leurs contraintes pour arriver à leur permettre de travailler dans de bonnes conditions. Bref, les choses bougent, doucement mais sûrement.
Merci beaucoup Anne pour cette interview.
N’hésitez pas à laisser des commentaires et à poser des questions à Anne Tournier !
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